« Le 8 avril a eu lieu dans l’Hémicycle l’examen d’une proposition de loi sur l’aide médicalisée à mourir. Il s’agit d’un sujet délicat et éminemment complexe. Je vais essayer de vous exprimer ma position, car il s’agit d’un des sujets les plus sensibles, voire les plus engageants de notre mandat de législateur : permettre à nos Institutions de provoquer la mort.
Je souhaite poser ainsi la gravité du débat, pour éviter tout raccourci ou opinion tranchée d’un côté ou de l’autre. J’ai ma conviction personnelle et intime sur le sujet. Toutefois, je suis députée, et j’estime qu’avant de voter une loi en mon âme et conscience, en tant que Représentante des Français, je dois m’assurer que les conditions de connaissance et de débat me permettront de voter de la manière la plus sûre et la plus éclairée possible. Être députée ce n’est pas voter ce que l’on pense intimement, non, ce n’est pas que cela. C’est s’assurer, avant le vote, plus encore sur ce sujet que sur n’importe quel autre, que l’on dispose de tous les éléments nécessaires à une décision rationnelle et solide.
Tout d’abord de quoi s’agit-il ? Il s’agit de répondre à la question suivante : accepte-t-on d’accompagner à mourir une personne qui est atteinte d’une maladie incurable et dégénérative, pour laquelle les médecins s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas de solution thérapeutique, et que le seul horizon, à court et moyen terme, est la déchéance physique, accompagnée, selon les personnes, de souffrance morale et psychique, alors que la personne en a fait la demande de manière éclairée et libre ? Lui permet-on de ne pas vivre cette dégradation inéluctable, alors qu’elle le demande expressément et que sa décision a été vérifiée et évaluée par des professionnels ? Voilà le cadre de ce sur quoi nous devons nous prononcer.
Je le précise car il ne s’agit pas bien entendu de se demander si une vie vaut d’être vécue. Toutes les vies, même diminuées, fragilisées, sont éminemment dignes et valent d’être vécues. Ce n’est pas à la société, aux hommes, de décider de cela, JAMAIS. Ici il s’agit juste de savoir si une personne qui en fait la demande expresse et qui est dans la situation que j’ai expliquée plus haut, peut être accompagnée dans une liberté fondamentale et profonde qu’elle exprime, qu’est celle de choisir la manière dont elle va partir, et vivre ou ne pas vivre, ces derniers jours ou mois.
Si au fond de moi, je pense que la réponse est « oui », il s’agit de très peu de cas et très circonscrits, je ne suis pas satisfaite de la manière dont on nous demande de nous prononcer aujourd’hui en quelques heures sur cette question éminemment importante.
Pourquoi ? J’ai besoin de savoir tout d’abord si et comment la Loi Claeys-Léonetti est appliquée sur le territoire national, ce que nous ne savons pas, pour éviter toute dérive. J’ai besoin de savoir si le maximum est fait en matière de soins palliatifs sur tout le territoire national. Pour l’instant, nous n’avons pas ces éléments de réponse, et vraisemblablement ce n’est pas le cas. Et pour moi, il est très important, avant de voter un nouveau texte aussi fondamental, de savoir si tout est fait pour que les personnes dans ces situations se voient proposées le maximum du maximum pour ne pas souffrir et être accompagnées dans la douceur et le soin dans leurs derniers mois et derniers jours avant de partir naturellement.
Car l’aide médicale à mourir ne doit JAMAIS être une solution parce que la société ne nous donne pas les moyens d’apaiser nos souffrances, et que la seule possibilité de stopper ces souffrances, c’est la mort. L’aide médicale à mourir doit rester un acte de liberté éclairée, qui exprime la position suivante « je sais que malgré les soins palliatifs, je vais être enfermé dans mon corps, je vais perdre conscience, je vais être entre deux, je vais souffrir de vivre psychiquement ces moments, et je ne le souhaite pas. Je veux disposer de la dernière liberté que j’aie, alors que mon corps m’emprisonne totalement, celle de décider de ne plus vivre cette vie que ce corps me fait vivre et qui n’est pas une vie pour moi ». Je dis « pour moi », car cela est très personnel et que l’on doit garantir à toute personne de pouvoir partir conformément à ce qu’elle est elle, et à ce qu’elle veut, vraiment.
Cette proposition de loi est présentée dans le cadre d’une niche parlementaire par un groupe d’opposition. Elle est essentielle car elle nous oblige à débattre et à mettre à l’ordre du jour ce sujet ô combien important. Mais ces conditions (seulement quelques heures de débats), ne permettent pas de m’assurer que mon vote sera sûr. Comme je l’ai dit, j’y suis favorable, mais je veux que mon vote soit sûr pas pour moi, mais pour tous les Français que je représente. Je souhaite que le débat soit mis à l’ordre du jour de l’Assemblée par la Majorité et que nous puissions mener toutes les auditions et évaluations nécessaires à l’examen de la législation actuelle qui va en droit déjà très loin, mais qui n’est pas totalement et uniformément appliquée sur le territoire national.
Si ma position personnelle est celle-ci, c’est parce que j’ai été confrontée à cette situation, et que parmi toutes les personnes de mon entourage que j’ai vues partir, de nombreuses déjà, il y a un cas, un seul, où je me suis sentie impuissante et où j’ai vu que nous étions dans l’incapacité d’accéder à la demande d’un ami qui pourtant nous avait fait promettre, quand il pouvait encore un peu parler, de ne pas le laisser vivre une fin de vie qu’il ne voulait pas vivre, alors qu’il parlait de sa mort de manière incroyablement apaisée, sereine et profonde, sans tristesse, même avec une forme de libération. Sa souffrance et son désespoir, dans ses yeux, alors qu’il ne pouvait plus parler, m’ont marquée à vie. Car nous n’avions pas pu lui permettre de partir quand il l’aurait voulu. Un seul cas. Mais pour ce cas là, et les cas pour lesquels cette volonté est identique, il me semble important de modifier notre législation. Pas n’importe comment, pas en quelques heures, de manière restrictive et contrôlée. »