J’ai pris connaissance du tract diffusé par « Vivre et Agir en Maurienne » à Avrieux concernant le chantier engagé de la ligne ferroviaire nouvelle Lyon-Turin.
Outre le fait que ce tract comporte de nombreuses inexactitudes et approximations, la réunion organisée le 12 juillet dernier par le Comité de soutien d’Avrieux avait un objet précis : celui de trouver les conditions d’amélioration du chantier pour en diminuer au maximum les nuisances pour les habitants d’Avrieux, dont celles issues de la circulation de poids lourds (sécurité, etc.).
Il ne s’agissait donc nullement d’un débat de plus sur l’utilité ou non du Lyon-Turin (débat déjà organisé à de multiples reprises dans la vallée et auquel les associations ont eu l’occasion de participer), mais bien d’entendre les attentes précises des habitants d’Avrieux sur l’examen de solutions alternatives à la circulation de poids lourds dans Avrieux.
Comme je le fais concrètement depuis mon élection, je confirme mon attention toute particulière au programme d’accompagnement du chantier dans la vallée, afin d’améliorer son insertion localement, d’en diminuer au maximum les impacts pour les habitants et d’en faire un outil de développement.
En revanche, si je comprends tout à fait que l’on puisse ne pas être favorable au Lyon-Turin, et si je respecte la minorité de ceux qui sont hostiles à cette réalisation, je pense que l’on peut se dispenser d’asseoir une argumentation sur des rumeurs, en citant des organismes publics disparus parmi les opposants (le Conseil des ponts et chaussées n’existe plus depuis 2008), et ce, en instrumentalisant les craintes et les inquiétudes des personnes.
Pour moi, le respect de nos concitoyens passe par une argumentation de qualité, et par la prise en compte des vrais problèmes. Il convient donc de rectifier quelques faits : cette infrastructure a été soutenue par 5 présidents de la République successifs dont l’actuel ; elle a fait l’objet de 3 traités internationaux en 2001, 2012 et 2015 qui ont été ratifiés à chaque fois par une large majorité des Parlements français et italiens (le dernier, autorisant l’engagement des travaux définitifs ayant été ratifié début 2017) ; l’Etat français a engagé 270 M€ de crédits en début d’année pour les travaux définitifs 2018/2019 du tunnel de base ; le Président de la République, lors du Sommet Franco-Italien du 27 septembre 2017 a « réaffirmé les engagements, c’est-à-dire les calendriers et les montants pour le tunnel de base », et enfin la position de l’actuel Gouvernement italien penche pour une continuation du chantier, mais de manière différente, côté italien (les deux mouvements de la coalition gouvernementale, la Lega et 5 Etoiles, ayant une position différente sur le sujet, il faut bien trouver un compromis).
Il est également important pour moi de rappeler que l’objectif de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin est de renforcer massivement le report modal, en reportant 1 million de poids lourds sur le rail sur les 2,8 millions de poids lourds qui franchissent chaque année les Alpes, au Nord et au Sud. Nos vallées et le littoral deviennent des couloirs à camions, avec des conséquences désormais dénoncées par tous en matière d’émission de CO2, mais aussi de sécurité routière (trafic, transport de matières dangereuses, etc.).
Si l’Italie est le premier partenaire commercial de la France, les infrastructures qui nous lient sont essentiellement routières, et le trafic aussi : 92% des échanges de marchandises entre la France et l’Italie sont routiers, alors qu’entre l’Italie et la Suisse, la part du rail est supérieure à 70%, nos voisins Autrichiens et Suisses ayant réalisé des tunnels ferroviaires à peu près similaires au tunnel de base du Lyon-Turin ces dernières années.
Or, la ligne ferroviaire fret existante, historique et aérienne, entre la France et l’Italie et entre l’Ouest et l’Est de l’Europe, que nous connaissons en Maurienne, passe par un tunnel, le Mont-Cenis, qui date de 1870. Pourquoi n’est-il pas crédible d’assurer que nous pouvons reporter massivement les marchandises sur la ligne existante ? Tout d’abord, parce qu’elle a 150 ans, et qu’elle comprend des limites techniques incompatibles avec un report modal massif, sûr et performant : un tunnel à 1 300 mètres d’altitude, aux fortes pentes, qui nécessite la mobilisation de deux ou trois locomotives pour tracter de faibles tonnages, qui implique un surcoût de 40% par rapport à une ligne moderne, qui ne permet pas le croisement des trains de fret de voyageurs (!) pour des raisons de sécurité. Toutes ces contraintes sont autant de limites aux exigences de sécurité, de fiabilité et de performance nécessaires à un réel report modal, que nous sommes en droit d’attendre au 21ème siècle.
On ne peut pas raisonnablement défendre le fret ferroviaire, la diminution du trafic routier, dénoncer la pollution dans nos vallées, et en même temps préconiser un usage massif de la ligne historique. Ce n’est techniquement pas possible.
Il faut également noter qu’après le trou d’air de la crise de 2009 relatif au trafic au travers toute l’Europe, nous sommes revenus en 2017 à un trafic routier d’avant-crise. Pour les seuls tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus, cela représente une augmentation du trafic de 12% depuis 2013, soit 150 000 véhicules supplémentaires en 4 ans, soit 220 véhicules supplémentaires par jour en moyenne.
En ce qui concerne le coût de l’infrastructure, la France n’en supporte réellement que le quart pour la partie transfrontalière, et avec les accès à réaliser, le coût total à la charge de la France est évalué à 8,4 milliards d’euros. Ce montant est inférieur à celui de la ligne Grande Vitesse Tours-Bordeaux inaugurée en 2017, dont le coût s’élève à 9 milliards d’euros. J’ai la faiblesse de penser que nous méritons autant pour la santé, pour la sécurité de nos concitoyens, pour la protection de l’environnement des Alpes et pour conforter nos échanges économiques avec l’Italie.
Si je soutiens cette infrastructure tout en étant extrêmement vigilante sur le déroulé du chantier pour qu’il engendre le moins de nuisances possibles pour nos concitoyens, c’est parce que je suis convaincue que cette infrastructure est une opportunité pour notre vallée et notre département. La Savoie et la Maurienne ont toujours été au cœur de passages, c’est ce qui fait la richesse de nos territoires. Les Mauriennais et les Savoyards ont connu dans leur histoire récente de très grands chantiers (hydrauliques, autoroute, infrastructures, etc.). Ces infrastructures ont placé la Maurienne au cœur du progrès, elles ont été des facteurs de développement et des atouts extraordinaires pour que notre génération et celles à venir continuent à vivre dans nos territoires.
Ceux-là qui s’opposent aujourd’hui au Lyon-Turin, je le rappelle, étaient parfois les mêmes qui s’opposaient à l’autoroute, et ce malgré les drames routiers que nous avons connus sur la RD 1006… Nous méritons d’être au cœur de l’Europe et non pas d’être « cornérisés » alors que les échanges et les richesses, quelles qu’elles soient (culturelles, sociales et économiques), se jouent ailleurs, parce que d’autres ont saisi leur chance.
C’est en se projetant vers cet avenir qu’il faut mettre en regard la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. En attendant, notre objectif est de faire du chantier une opportunité de développement économique et social pour notre territoire et de limiter au maximum ses nuisances pour les riverains et habitants de notre vallée. Je suis prioritairement à leur écoute.